Nathalie Somville

Diététicienne Nutritionniste

Atteindre son poids de forme en suivant son "instinct alimentaire" ?

Une approche instinctive, aussi appelée celle de l’alimentation intuitive ou du non-régime a de quoi séduire les candidats au régime : il serait donc possible de manger tous les aliments que l’on souhaite, à tout moment de la journée, et de maigrir quand même? 

Quelle merveilleuse nouvelle en ce printemps, au cours du quel bien des personnes vont consacrer de nombreux efforts à perdre du poids pour l’été !

 

Alimentation intutive

Par quel tour de magie est-ce possible? Et bien… Tout simplement en écoutant vos sensations de faim, de satiété et de rassasiement. Car, selon l’approche du non-régime, elles vous permettraient d’équilibrer à la calorie près la balance énergétique pour atteindre et maintenir votre poids « idéal ». Très simple sur le papier, et pourtant…

 

Comme vous vous en doutez, comme toute approche destinée à atteindre son poids idéal, elle a de bons aspects… et d’autres plus discutables.

 

Prenez quelques instants pour réfléchir aux points suivants avant de vous lancer corps et âme dans cette démarche :

– Les raisons principales de votre surpoids. Selon cette méthode, une personne est au-dessus de son poids « naturel », correspondant à son « set-point », lorsqu’elle n’est pas à l’écoute de ses sensations alimentaires et mange donc « trop » par rapport à ses besoins. Point.

 

Chacun d’entre nous aurait donc une sorte de calculateur de calories intégré, capable de mises à jour pour tout nouvel aliment, et activant le centre de satiété dès que le quota calorique suffisant aurait été atteint.

Or, même la personne la mieux régulée au monde, sans « restriction cognitive » (c’est à dire remplaçant le « j’ai envie de manger cela » par « je dois manger cela »), est confrontée actuellement à un contexte alimentaire ne permettant pas cet équilibre sans usage de l’intellect. Même en mangeant bio et en cuisinant tout maison.

Prenons un exemple tout simple : une personne sans souci de poids, pressée, prend au petit déjeuner un muffin maison à la farine complète et un jus d’oranges bio fraîchement pressé (600 kcal environ)…

 

… au déjeuner, elle a peu de temps, et préfère manger « peu » mais aussi du bon fait maison : une belle salade de quinoa-lentilles-avocats-poivrons agrémentée de pignons de pins et de graines germées, assaisonnée d’huile de noix. Avec un grand verre de jus de noisette, son péché mignon. Voici les batteries rechargées en mangeant de la nourriture saine et bio pour environ 800 kcal également.

et au dîner un bon gratin de cannellonis maison, valant aussi autour de 800 kcal. Pas de dessert car elle est fatiguée.

Une journée composée de plats peu copieux, totalisant environ 2400 kcal. Une balance énergétique allant dans le sens de la prise de poids si cette personne est une femme peu active, avec un travail de bureau.

 

Prenons maintenant l’exemple d’une personne avec des habitudes alimentaires totalement différentes, mais qui n’est pas au régime :

Au petit déjeuner, cette personne, également pressée, consomme généralement un petit pain au chocolat pur beurre acheté au boulanger du coin avec un café avec un morceau de sucre : 300 kcal environ.

Une demi-baguette jambon beurre crudités (400 kcal), car très pressée, avec un yaourt à boire (100 kcal environ)…

et le soir un plat de raviolis frais à la sauce tomate et à la ricotta (400 kcal) :

elle va consommer 1 200 kcal, et donc risque très possible de perdre du poids! Alors que ses choix ne semblent pas particulièrement « light »… Et le compte dans tout ça, c’est qu’elle n’aura pas forcément plus afin que sa collègue qui aura mangé pour 2400 kcal, soit le double qu’elle en approche calorique.

Cet exemple est certes un peu caricatural, car nous ne mangeons pas tous les jours la même chose, certaines journées sont plus énergétiques que d’autres.

Simplement, cette illustration indique qu’on peut aussi être en surpoids en raison de choix alimentaires peu judicieux, pouvant être remplacés par d’autres aussi rassasiants mais moins énergétiques. Par exemple : remplacer sa crème brûlée du soir par une crème caramel (150 kcal économisées rien que pour ce petit dessert…).

– La sous-estimation des emballages et des portions dans nos habitudes de consommation. Je m’explique : connaissez-vous beaucoup de personnes s’arrêtant à 4/5ème de leur yaourt car leur quota calorique a été atteint? Ou qui mangent 1/4 de biscuit? Sauf en cas de portions vraiment trop grosses, nos consommations alimentaires sont grandement conditionnées par les portions que nous avons devant nous. Selon l’expression d’un médecin nutritionniste américain : « people are finishers ».

Une expérience avait été réalisée dans un fast-food : le cornet XL des frites avait été augmenté et le cornet standard a pris la taille de l’ancien XL. Eh bien les personnes qui avaient l’habitude de consommer la portion standard en entier l’ont entièrement consommée, alors que ce cornet moyen avait désormais la taille de l’ancien grand format, et ce sans compenser à la baisse au repas suivant.

 
 

– Avant-dernier point : cette méthode de l’instinct alimentaire se diffuse désormais via un site internet qui propose, sans régime, de maigrir… Or chez moi, une méthode promettant une perte de poids, c’est un régime amaigrissant, vous appelez ça comment sinon? Sauf qu’ici, la fameuse « restriction cognitive » des régimes traditionnels est remplacée par l’angoisse du respect des sensations alimentaires : suis-je sûr (e) d’avoir mangé avec faim? Me suis-je arrêté(e) à temps?

 
 
 
 
On ne culpabilise plus d’avoir mangé des frites ou un gâteau, mais d’avoir mangé une bouchée de trop, d’avoir pris ce biscuit si gentiment fait par son enfant alors qu’on ne ressentait pas de « vraie » faim, vous pouvez trouver 3 pages de forum relatant la culpabilité d’avoir pris un dessert alors que la personne estimait ne plus avoir faim… Vraiment contradictoire pour une approche théoriquement déculpabilisante!

En écrivant cet article, je suis tombée sur une interview du Dr Zermati (un des médecins fondateurs de la méthode) dans laquelle on peut lire : « En consultation ou dans vos livres, vous insistez toujours sur la nécessité d’accepter un poids d’équilibre et sur le fait que la perte de poids ne doit pas être un objectif en soi. Pourquoi alors mettre l’accent sur l’amaigrissement ? Jean-Philippe Zermati : Vous avez raison, j’insiste toujours auprès des patients sur le fait que la perte de poids n’est pas un objectif direct mais une conséquence du rétablissement d’un comportement alimentaire normal. (…) Mais il ne faut pas se voiler la face. Les gens viennent me voir avec l’espoir de maigrir. J’ai rarement en face de moi des personnes en surpoids qui souhaitent en premier lieu réguler leur comportement alimentaire. Généralement la souffrance vient du poids, moins souvent de la compulsion. Si nous pouvions manger plus que de raison en permanence sans grossir, beaucoup moins de gens consulteraient. Par conséquent, nous parlons en effet d’amaigrissement, parce que nous savons que c’est ce à quoi aspirent la plupart des personnes en surpoids.

 
 
En dépit d’une promesse alléchante : se réguler sans régime… Cette méthode ressemble beaucoup à n’importe quelle autre méthode de régime : on se base sur l’IMC, sur un prétendu questionnaire supposé mieux nous cerner, et on nous harcèle de mails pour nous pousser à maigrir (je me suis inscrite « pour tester », je reçois un email par jour, voire plus, et ne parviens pas à me dés inscrire !); sans oublier les femmes minces qu’on nous montre sur le site et l’idée de « il faut être mince », injonction sociétale si répandue. Et oui, comme toute entreprise, il faut rentabiliser. Or avec la question du poids, on touche au psychologique, au physique, à l’intime. Et c’est dommage au final de retrouver la même chose que partout ailleurs, qu’il n’y ait finalement aucune personnalisation…
 
 
– Dernier point : il existe des personnes dont le poids naturel est largement plus élevé de manière génétique que les normes médicales, et qui pourtant ne se suralimentent pas. Ces personnes peuvent en souffrir physiquement (problèmes d’articulations, cardiovasculaires par exemple) et psychologiquement. Leur dire que la seule possibilité c’est de s’accepter à ce poids ou bien de peser moins en ayant constamment faim, point barre, n’est pas forcément la seule bonne solution. Il existe véritablement des aliments plus rassasiants que d’autres et donc il est possible de maigrir sans faim avec quelques connaissances diététiques, en ne se basant pas que sur son instinct.

Cependant, cette méthode a aussi de bons côtés, en particuliers les suivants :

– Le fondement même : pas d’aliments tabous, pas d’aliments au pouvoir magique de faire maigrir, avec des « calories négatives », comme la pomme par exemple…

Contrairement à ce que croient beaucoup, une cuillère à soupe d’huile d’olive est plus calorique qu’une cuillère à soupe de beurre, il ne faut pas confondre sain et light! Or la confusion est de plus en plus de mise…

– L’accent mis sur l’attention portée aux repas. Aujourd’hui, de nombreuses personnes sont incapables de manger sans faire autre chose : lire un journal, regarder la télévision, en faisant du shopping… Forcément, il est très aisé de manger sans faim véritable dans de telles conditions.

 
 

– Enfin, pour les personnes en surpoids en raison d’alimentation compulsive, sur le coup des émotions, du stress ou encore pour les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaires comme l’hyperphagie ou la boulimie, cette approche est effectivement particulièrement adaptée. Pour normaliser son poids et aussi et surtout pour réapprendre à manger, tout simplement. Pour se réconcilier avec l’acceptation de ses émotions et du plaisir de manger. 

 
 
 
Pour conclure, plutôt que de basculer dans le tout instinctif ou le tout rationnel, pourquoi ne pas adopter une démarche souple ? Basée sur des connaissances nutritionnelles qui vous permettent de faire des choix alimentaires à bien escient. Par exemple, troquer votre quiche aux lardons et crème à 30% de MG par une quiche aux allumettes de bacon et crème à 15%? Pas de diminution énorme du plaisir gustatif, mais c’est l’ensemble de petits trocs quotidiens sur certains aliments qui font toute la différence sur votre balance. Bien sûr, ne parlons pas de remplacer votre chausson aux pommes du goûter par une pomme, la frustration serait considérable ! Pour cet aliment, taille de la portion et fréquence seront de mise. Et des recettes très légères à base de feuilles de brick existent !

Chausson au pommes traditionnel du boulanger, à 300 – 400 kcal

 
 
 
Chausson – brick à 150 kcal, selon ma petite recette que j’aime donner à mes patients 🙂
 
 
 
Bref, mon approche est peut-être très comptable, mais, aujourd’hui dans notre contexte de variété alimentaire immense, bien lire les étiquettes de supermarché, le menu des restaurants et connaître l’ordre de grandeur calorique des aliments que l’on consomme peut rendre bien des services dans une approche de perte ou maintien du poids. Cela marche aussi dans l’autre sens, quand on cherche à prendre du poids ! Bien sûr, ça ne veut pas dire devenir un ou une maniaque de la calculette et de la table à calories ! Le corps adore l’équilibre et votre métabolisme s’adaptera à la hausse ou à la baisse d’une journée à l’autre si les variations sont peu importantes (réalisation de petits gestes inconscients une journée où vous avez un peu plus mangé que d’habitude par exemple).
 
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